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Lenaig Steffens

La nudité des parents et le regard de l'enfant

Pouvons-nous nous montrer nus devant nos enfants ?


Dans de nombreuses familles, il est habituel que les parents prennent le bain avec leur(s) enfant(s), se promènent nus dans la maison, ou encore dorment nus et se laissent rejoindre le matin dans le lit par leurs enfants. Cette pratique ne pose pas spécialement question, jusqu’à ce que certains enfants viennent questionner leurs parents au sujet de cette nudité ou présentent même des symptômes, qui veulent toujours dire quelque chose (le symptôme est l’expression d’un conflit qui se joue à l’intérieur du psychisme de l’enfant et dont il ne parvient à se défaire seul).

C’est souvent en questionnant les parents sur leur façon de vivre la nudité qu’ils me disent, en toute transparence, l’exposition de leur enfant à cette nudité adulte. Mais alors, est-ce vraiment traumatisant pour un enfant de vivre avec des parents se montrant nus ou au contraire, est ce recommandé pour qu’il s’apprivoise le corps de l’adulte et qu’il s’exerce à l’accueil de la différence de l’autre ?


La question de la nudité


Lorsque je questionne ces parents qui ont l’habitude de la nudité, ils expriment souvent le fait que chez eux, étant petit, tout le monde avait pour habitude d’être nu, du petit d’homme au grand-père dans la piscine, en passant par la mère dans le bain ou la grand-mère sur la plage. Cela représente donc pour eux une norme, qu’ils n’ont jamais remise en question. Lorsque je viens d’ailleurs questionner plus profondément cette pratique, certaines valeurs comme celles de la liberté, de l’amour familial ou même de l’acceptation du corps de l’autre viennent justifier ces habitudes.

Mais est-ce vraiment anodin de se montrer nus devant nos enfants et surtout, est-ce vraiment sans effets sur leur psychisme en construction, de vivre au quotidien avec cette expérience de la nudité parentale ? Je ne crois pas. En effet, des années de pratique d’anciens psychologues auprès des enfants ainsi que des années de thérapie auprès d’adultes laissent penser que la nudité adulte non seulement n’apporte pas à l’enfant cette ouverture d’esprit mais elle peut, en plus de cela représenter comme une agression et gêner son processus de développement.

Même si cela est une habitude, elle peut et elle doit, si cela entrave au bien-être d’un des membres de la famille, évoluer.


Une potentielle « agression » pour les enfants


Tout d’abord, la différence des corps des parents peut être tout à fait marquante pour les enfants qui perçoivent en « gros plan » ces parties intimes parentales, tout à fait différentes des leurs évidemment. Elle met l’enfant face à un stade de développement physique, lié à un stade de maturation psychique auquel il n’a pas accès, cela peut créer en lui une forme de court-circuit que son psychisme ne peut pas prendre en charge car c’est comme incompréhensible.


En fonction de stade de développement


En fonction de l’étape dans laquelle se trouve l’enfant, ces images et cette composante relationnelle peuvent plus ou moins le gêner. Tout petit, un bébé ne perçoit évidemment pas cette différence et cette nudité ne s’impose pas à lui comme pouvant être « dérangeante ».

Lorsque l’enfant grandit, et principalement à partir de l’âge de 18 mois, doit s’opérer un réel remaniement psychique chez le petit enfant, qui consiste pour les parents à contenir les débordements pulsionnels de leur enfant. L’enfant est excité, vif voire débordant et il appelle clairement les limites auprès de ses parents. Cet apprentissage des limites s’apprends aussi par les limites que nous donnons au sein des règles de la maison et donc, de la nudité. Que chacun protège et garde un espace pour lui est essentiel. Dès que l’enfant a 18 mois, vous pouvez cloisonner les espaces de chacun et dire simplement « quand Maman s’habille on ne rentre pas dans la chambre ! », s’assurer que les toilettes ont des verrous pour que ces espaces soient des lieux d’intimité.

Enfin, à partir de 4 ans ½, rarement avant, l’enfant entre dans un stade de développement appelé le Complexe d’Œdipe (http://www.mamanvogue.fr/le-complexe-doedipe-lenfant-amoureux-de-son-parents/) . C’est une période dans laquelle l’enfant exprime secrètement le désir de se marier avec le parent de sexe opposé, ceci entrainant par conséquent une forme de rivalité avec le parent de même sexe. Ce stade est universel et sain et ces désirs exprimés par l’enfant sont bien évidemment tout à fait inconscients. Le rôle des parents dans cette aventure oedipienne n’est pas mince. En effet, l’Œdipe est structurant à condition que les parents proposent une réponse adaptée. Il est important que les deux parents affichent un lien solide entre eux (« Papa et Maman sortent dîner tous les deux au restaurant », raconter l’histoire de leur rencontre, etc.), qu’ils n’entrent dans des jeux de séduction avec l’enfant, même sous couvert d’humour (« tu es ma petite femme », « tu es plus jolie que ta mère ! », « mon fils me suffit », etc.) et si il évoque un projet explicite d’union avec son parent, il est important de le renvoyer à d’autres perspectives de vie amoureuse (ex pour un garçon : « tu ne pourras pas te marier avec moi, parce qu’on n’a pas le droit de se marier entre personnes de la même famille, et que je suis déjà mariée avec papa. On s’aime depuis très longtemps et c’est d’ailleurs grâce à cela que tu es né. Mais tu auras une amoureuse plus tard, elle te plaira beaucoup, et vous serez très heureux ensemble.»). L’Œdipe est déterminant parce qu’il permet l’apprentissage de l’interdit de l’inceste (se marier avec son parent) et structure les liens amoureux futurs. Dans cette période cruciale, l’enfant est très sensible à ces questions de nudité et même s’il semble rechercher ces liens exclusifs avec son parent, il peut être tout à fait traumatisant pour un enfant de voir que ses désirs se réalisent dans la réalité et que son appel à des limites structurantes n’est pas entendu. C’est alors que peuvent se déclarer des symptômes, qu’il est important de comprendre. Il est évident que le respect de la nudité comme liée à l’intimité conjugal peut permettre à l’enfant d’entendre et de percevoir cette impossibilité pour lui de faire partie de cette intimité et donc d’accueillir l’interdit œdipien.


Alors, c’est grave ?


Inutile de penser nos actes en fonction de leur gravité, de les déplorer et d’en culpabiliser par la suite ! Il est important de comprendre que, tout comme pour le corps, certaines choses favorisent une croissance psychique harmonieuse, tandis que d’autres peuvent la gêner. Tout l’enjeu d’aider nos enfants dans cette croissance, est de faire en sorte que nos actions et leur réalité ne rentre pas en conflit avec leur réalité psychique (Par exemple : il n’est en aucun cas gênant de dormir avec un tout petit qui a besoin de présence et de soins continues, mais lorsque l’enfant cherche, motivé par ses mouvements internes à s’immiscer dans le couple parental, il est fortement déconseillé de lui faire une place dans le lit conjugal, sauf grande exception).


Apprentissage de la pudeur


Ne pas imposer à l’enfant le corps de l’autre, notre propre corps, c’est aussi apprendre à l’enfant que le corps est quelque chose de très intime et que lui seul en est le maître. La pudeur, très développé chez certains enfants est une étape importante du développement psychique puisqu’elle permet à l’enfant de prendre conscience du regard que l’autre peut porter sur son corps. Ne pas laisser votre enfant avoir « accès » à votre corps, c’est lui permettre de comprendre que personne n’a de « droit » sur son propre corps, que lui seul en est le maitre et qu’il peut donc le cacher. Cette pudeur protège donc l’enfant. Marcel Rufo le dit d’ailleurs ainsi, « La pudeur est un signe d’extrême développement de l’enfant qui passe par plusieurs stades »,

Sensibiliser les enfants à l’importance du respect de la pudeur de chacun, ne va pas, par ailleurs entraîner une forme de pudibonderie (pudeur excessive) qui entraînerait une intolérance à la différence corporelle de l’autre et une forme de rejet de tout ce qui est différent de son propre corps. Beaucoup pensent, à tort, que voir un corps adulte formé, parfois déformé, abîmé, gros, maigre, musclé, frêle, apprendrait à l’enfant qu’il n’y a pas de « norme » en termes de morphologie et qu’il est donc essentiel d’accueillir cette différence. Je crois que la tolérance et l’accueil de l’autre dans sa différence s’apprennent tout à fait autrement, avant tout par le regard que nous parents, posons sur cette différence, et transmettons par ailleurs à nos enfants. Ce n’est pas en exposant l’enfant à une forme de « trop plein » sexuel qu’il peut y mettre du sens, bien au contraire, il est essentiel de le laisser découvrir la différence des corps, par lui-même. C’est la parole qui va ouvrir leur esprit par les questions qu’ils vont vous poser et les réponses que vous allez leur apporter, que la réalité.



Que faire ?

  • S’assurer que toutes les portes de la maison peuvent vraiment se fermer (WC, salle de bain, chambre des parents)

  • Chaque parent prend sa douche séparément des enfants

  • Toute nudité parentale et conjugale doit être protégée du regard des enfants (y compris la sexualité, évidemment)

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