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Lenaig Steffens

Chronique. “Vous pensez qu’on devrait se séparer ?”

Ils arrivent tous les deux, avec leur fils, aux nombreux symptômes et petites difficultés qui très rapidement seront réglés. Mais ils me rappellent pour leur fils et reviennent, un jour, tous les deux, sans faire exprès. « Ah pardon, on pensait pas qu’il devait revenir lui aussi ! ». Pourtant, j’en suis sure, je ne leur ai jamais conseillé de revenir me voir seuls.

« Entrez, je vous en prie ! ».

Bon, rapidement je comprends. Ils ne s’entendent plus, me décrivent chacun leur tour la difficulté que représente chaque instant de vie commune. Les réveils mal lunés, les repas mal digérés, les remarques désespérées, les larmes séchées, les cœurs vidés.

Lénaïg, vous pensez qu’on devrait se séparer ?

J’avoue que je ne m’attendais pas à cette question si déconcertante. Il faut que je trouve une réponse là maintenant ? Leurs quatre yeux me regardent ébahis, prêts à tout pour avoir mon avis. Si seulement il ne s’agissait que des leurs, mais je vois derrière eux leurs enfants qui m’espèrent raisonnables et leurs amis qui me souhaitent indulgentes.

Je fais un tour dans ma tête, dans mes cours, dans ma théorie, dans mes bouquins, dans leurs paroles, dans mes souvenirs et je m’y perds un peu.

Je pense à ce couple étonnant, lui était artiste, un peu marginal et extravagant, elle femme très classique, bien comme il faut qui regardait les yeux amusés et plein d’amour son mari si différent d’elle ;

je pense aussi à ce couple, lui avait été abandonné par ses parents et avait cherché toute sa vie l’amour qu’on lui avait si vite retiré mais qui, depuis la rencontre avec sa femme, n’avait plus eu besoin de chercher car il avait trouvé celle qui, encore aujourd’hui, l’inonde d’amour et de bonheur ;

je pense encore à ces parents lassés de leur parentalité épuisante qui me remercient pour les conseils et m’avouent se retrouver et aimer à nouveau passer du temps ensemble depuis quelques temps.

Mais je pense aussi à ce couple, détruit par l’alcoolisme de l’un d’eux, désespéré par les soins incertains et la violence quotidienne ; je pense à ces parents, pourtant aimants mais qui peinaient tellement à communiquer, chacun se sentant tellement incompris et étranger à la personne qui leur est pourtant, en théorie, la plus chère ; je pense bien évidemment à ce couple qu’un évènement trop difficile a séparé et pour qui il a été plus facile et évident de tourner son cœur vers quelqu’un d’autre, dans le secret de l’adultère.

Mais bien au-delà, je pense à tous mes proches, ceux qui s’aiment, qui se le disent, ou qui évitent de le dire, ceux qui rient, ceux qui charrient, ceux qui pardonnent, ceux qui résistent. Ceux qui se marient, ceux qui ne le feront jamais, ceux qui ont des enfants, ceux pour qui la vie décide autrement, ceux qui se sont choisis, et les autres, ceux qui s’évitent et ceux qui s’abîment, ceux qui s’embrassent, ceux qui se regardent, ceux qui se désirent.

Je reprends mes esprits et me concentre sur mes patients. Je pourrais leur dire que leur vie semble très compliquée, que « franchement à leur place je ne tiendrais pas, que je serais partie depuis longtemps » ; je pourrais aussi leur dire que « le plus important c’est que les enfants aillent bien et il faut rester pour eux ».

Mais je ne dirai pas ça, parce que c’est ce qu’ils entendent déjà à la radio, chez leurs copines et dans la salle d’attente du médecin. A la place je les regarde, je les admire d’être là tous les deux, je m’émerveille de ce qu’ils ont déjà construit, des trésors qu’ils ont fait grandir jusque-là que sont leurs enfants, je mesure la chance infinie que j’ai qu’ils m’accordent leur confiance, je suis émue.

Mince, je dois quand même répondre à leur question ?

Franchement, je ne sais pas.

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